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8h40

1 février 2017 - Réchauffement / Autofictions
Dans mon métier on parlait de dette technique : le temps passé à résoudre les problèmes issus des choix qu’on n’a pas faits, des raccourcis qu’on a pris, il y a parfois longtemps. On finit presque toujours par la payer.
Je vis maintenant avec les choix que je n’ai pas faits et je les paye. Ca s’étend du collectif à l’individuel. J’y pense souvent lors de la marche du matin. Les autres vont vite, je m’essouffle vite. Nous ramassons les branches tombées, nous « tenons » la forêt, plantée et entretenue par des gens qui ne voulaient pas avoir de dettes vingt ans dans le futur (la forêt se plante à au moins vingt ans d’avance), abimée par les tempêtes provoquées par ceux qui voulaient continuer à vivre des hydrocarbures faciles, pillée par les bandes (mais certains d’entre eux n’avaient pas le choix). Je trouve le bois mort de mauvaise qualité parce que je suis parmi les derniers (le choix de n’avoir pas fait assez de vélo), je l’accumule dans un sac à dos Décathlon déchiré made in China – je me souviens du jour où j’ai fait le choix de prendre celui-ci plutôt que l’autre deux fois plus cher. A la maison, avec mon pauvre chargement, je passerai à côté de la carcasse de la chaudière à fioul inutile que la copropriété avait fait le choix (par défaut, admettons-le et avec les meilleures des raisons) de ne pas remplacer par un chauffage géothermique.
La mesure de la dette tourne la tête, j’avoue qu’il m’arrive de me shooter à ce vertige les jours gris, quand elle est absente ou quand elle est malade. Ce matin un rayon de soleil a percé sous les stratus, et j’ai aimé sentir la terre souple sous mes semelles qui se craquellent, et l’air piquant dans mes poumons. Je n’avais pas beaucoup de bois, il n’y en a de toute façon plus beaucoup à prendre, la saison veut ça.
Dans le notre père, on dit en français : « pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés », mais en grec et en araméen Jésus nous dit de dire: « remets-nous nos dettes, comme nous remettons à nos débiteurs », ce qui montre combien il connaissait notre coeur. Ou au moins le mien.
382 mots. Je songe à les imprimer, à les recopier, à les transférer. Je trouverai un moyen de les mettre dans le carton pour l’Argentine.
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Une réflexion sur “ 8h40 ”

zanzibar

Implicites de ce texte: Léo en Argentine, pas confiance dans les transmissions électroniques. Hydrocarbures présents, mais chers. Je vis encore en Suisse, dans la même maison que maintenant, chauffée au fioul, avec la forêt toute proche. J’ai un peu moins de soixante ans.

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