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3h12

8 février 2017 - Réchauffement / Autofictions
J’entends le bébé pleurer en premier alors je me lève, la rejoins et la prends dans mes bras. Elle est mouillée, vaguement chaude, toute crispée sur son mal-être. Je regarde l’heure, OK ça fait plus de quatre heures, je lui redonne la dose de paracétamol, j’aurais préféré l’ibuprofène mais il faudra attendre demain matin. Je la change, je la caresse, je lui parle, je dis les choses douces et répétitives qu’on dit à trois heures du matin quand le sommeil pèse mais qu’on ne veut pas que l’éveil de la petite créature bouleverse la maison. Puis je la colle dans l’écharpe contre mon ventre et je marche dans le couloir, sept pas dans un sens, sept pas dans l’autre, un main appuyée derrière sa nuque, non pas pour la soutenir mais pour la sentir, sentir ses cheveux tous fins, sa peau très fine, sentir la vie. Il est plus de trois heures, je suis agité de sentiments contradictoires, l’envie de retourner me coucher (j’ai froid aux pieds), la joie de sentir le petit être contre moi, d’être utile à quelqu’un, d’être en ce moment pour quelqu’un la personne la plus importante au monde – celle qui marche, marche, marche, parle et se balance – l’inquiétude provoquée par mes petits calculs angoissés. Elle est malade depuis mardi, ça fait donc maintenant plus de soixante-douze heures de fièvres hautes et basses, de malaises. Pas de nouveau vomissement après le premier jour, mais une forme de fatigue persistante, pas beaucoup de joie, un sommeil agité, la respiration un peu prise, effet de ce sale hiver détrempé.
Cecci se lève, vient me voir, vient la voir, les yeux tout crispés de sommeil. On se regarde, pas besoin de se dire grand chose. Trois jours. La limite au-delà de laquelle on commence à s’inquiéter. « Tu t’occupes d’elle ? »
Oui, c’est bon. « Merci. »
Elle traîne un peu avant d’aller se recoucher, prend la température de la petite avec la main, n’aime pas ce qu’elle sent. Je dis que j’ai donné un sirop quelques minutes plus tôt, qu’il n’a pas eu le temps de faire effet. OK. Elle retourne enfin se coucher et je reprends ma marche, sept pas dans un sens, sept pas dans l’autre. La pluie ruisselle dans la rue, la petite a chaud, le mouvement l’apaise, voilà, c’est bien.
Se déploient des perspectives compliquées pour demain — l’emmener aux urgences, à Lausanne, dans le chaos et le grand bouillon de germes, pour qu’une interne à l’accent portugais nous dise de retourner chez nous, ou pire, pour qu’ils lui fassent une prise de sang et décident de la garder. Cauchemar : ils disent que c’est une infection. Super cauchemar : ils disent que c’est le Terminator et qu’ils vont devoir faire un traitement antibiotique type tapis de bombes (chance de succès officielle, 60%, mais Cecci a rencontré le type qui coordonne la lutte contre les multirésistantes sur le réseau d’hôpitaux européens et qui dit que les taux de réussites de leurs traitements serait bien plus bas). Dans les autres perspectives pesantes, devoir appeler la mère. Il y a mille raisons de ne pas le faire: elle n’a pas besoin de ça en ce moment, elle n’est pas disponible pour ça et elle pourrait annuler tout son projet pour rentrer immédiatement. Reste un truc que je n’ai pas fait. Appeler ce numéro, en Valais, le parent de Monique qui a le secret. Peut-être qu’il peut quelque chose contre les fièvres compliquées. L’appeler demain matin, attendre encore quelques heures, appeler la maman et décider.
La petite boule au centre du monde s’est endormie, je n’ose pas arrêter de marcher.
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Une réflexion sur “ 3h12 ”

zanzibar

Implicites: bactéries multirésistantes en balade. Gens travaillant au loin, moins accessibles. Déplacements bien plus chers, même pour 30 kils.

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