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4h05

26 septembre 2017 - Réchauffement / Autofictions
Je n’ai pas réussi à dormir alors que je dois partir tôt ce matin. A la place, réveil à 4 heures. Collé dans le salon sur les écrans pour attraper ma dernière dose de nouvelles, comme une injection matutinale de mauvaise came. En conséquence de quoi je me demande aujourd’hui si je vais descendre au bureau : deuxième frappe stratégique sur la Corée. L’institut fédéral de sismologie de mue en cabinet d’experts sur la question nucléaire. Les médias ressortent la communication officielle américaine : bombardements localisés visant des « facilités techniques » (sic), pour le reste c’est le bruit habituel : photos de terres calcinées, images retravaillées de champignons atomiques bidouillées depuis des clichés américains des années 60, « fermes protestations » à l’ONU, roulage d’épaules russes, néo-diplomatie, etc. Et les photos aériennes du nuage des retombées. J’attends le tweet de la commune invitant la population, sur recommandation du Conseil Fédéral et du Département de la Protection Civile à rejoindre l’abri PC.
Je devrais te réveiller, on devrait faire le point, mais à quatre heures je n’ai pas le courage. A la place je prépare le café. Il se faudra de quelques jours pour que le nuage arrive au-dessus de l’Europe, dans le grand ciel bleu de l’été indien. Qu’est-ce qu’on sait de tout ça ? On a les comprimés d’iode, mais il paraît que ça ne sert à rien. Les particules chargées vont retomber avec les pluies, il y aura des mesures dans les potagers, on va balancer des légumes bio/ou bien les garder/ou les importer de l’hémisphère sud.
Rejoindre l’abri PC. Passer deux semaines là-dedans. Le gouvernent a des injonctions contradictoires : les entreprises ne seront pas dédommagées de l’absence des salariés pour cause de guerre atomique. Mais. MAIS : la continuité éducative est assurée : les professeurs sont contraints de donner des cours là-dedans, pendant les quinze jours d’isolement réglementaires. Au mois de juin dernier, j’y suis allé avec les filles pendant que tu étais en voyage. Quinze jours d’ennui, sans réseau, derrière les énormes portes peintes en orange que nous étions supposés ne jamais ouvrir si on en croit le lieutenant Crouzat, qui a pourtant cédé au bout de 72 heures le temps qu’on refasse un peu d’approvisionnement irradié. Pour ce qui est de la continuité des cours, c’était l’horreur. Je rappelle qu’il n’y a dans l’abri qu’une seule salle commune. Très vite, l’organisation des repas a pris le dessus sur tout le reste, comme une messe folle dont les hausfrau se sont emparée pour justifier leur existence pendant que quelques vieux et moins vieux renouaient avec joie avec l’autoritarisme alémanique. On se souviendra des exercices de gymnastique à 5 heures u matin ! Bref, l’école c’était deux fois quarante-cinq minutes, à 9h50 et 13h40, animées par la pauvre Odelie, la nouvelle maîtresse des enfantines, chargée de transmettre le savoir à une brochette de gamins du bébé à l’adolescente rendus dingues par l’enfermement.
Pour ce qui est de Rosa et Marguerite, après un demi-essai, j’ai renoncé 1) à « l’école », 2) à les faire dormir dans le dortoir. Comme la séparation hommes/femmes/enfants était stricte, nous avons obtenu de pouvoir nous isoler sur deux matelas dans le couloir d’accès, dont je démontais les néons pour obtenir un peu d’obscurité.
Je n’avais pas de réseau, j’avais laissé la porte de la maison ouverte (et on ne nous a rien volé pendant ces deux semaines, c’est beau, la Suisse), je n’avais aucune nouvelle de toi, tu n’avais pas de nouvelles de nous, et j’ai entendu des rumeurs glauques quant à ce qui se passait dans le dortoir des enfants. Nous sommes sortis tous puants, il pleuvait, nous avons adoré cette pluie qui faisait ruisseler sur nous des restes de composés fissiles balancés dans l’atmosphère plusieurs jours plus tôt.
Ils disent qu’ils ont pris la mesure de ce qui s’est passé dans l’abri, que ce sera mieux organisé cette fois-ci. Qu’il y aura assez à manger et un cadre scolaire bien posé. Nous voulons que les enfants soient à l’abri, mais à l’abri de quoi ? Des murs oranges de la folie en boîte ? Des poussières irradiées ? Il est cinq heures, maintenant. Je vais te laisser dormir comme d’habitude et préparer du café en relisant des pages wikipedia pleines d’unités d’irradiation auxquelles je ne comprends rien.
Peut-être que, somme toute, tout cela n’est pas si dangereux.

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